La poudre à rire
Le moment est venu de vous révéler l’histoire d’Ann Rocard, « la Poudre à Rire ». Je la remercie encore très chaleureusement pour son imagination débordante, sa gentillesse et son intervention sur le blog. En exclusivité mondiale, voici donc la Poudre à rire!!
J’avais lancé un petit concours d’illustrations. Voici les dessins des 3 lauréats. Félicitations à Lou, à Mathis et à Stella. Après concertation, et bien que les résultats aient été très serrés, nous avons désigné le dessin de Lou comme gagnant. Bravo Lou!
LA POUDRE-À-RIRE
Ann Rocard
Ce matin-là, le chercheur Jules Poki s’écria :
« Eurêka ! J’ai trouvé le produit miracle ! »
Son ancêtre avait découvert la poudre-à-éternuer… Lui
venait de mettre au point :
« La poudre-à-rire, sapristi ! »
Depuis bien longtemps, on faisait intervenir des clowns dans
les hôpitaux, on tentait de rendre la vie plus gaie. Mais les
résultats n’étaient pas parfaits.
Jules Poki travaillait seul dans un laboratoire, situé au
sommet de l’hôpital, le plus grand bâtiment de la ville, fait de
verre et de plaques métalliques. Des plantes du monde entier y
poussaient dans des serres gigantesques, peuplées d’oiseaux
multicolores ; les malades avaient ainsi l’impression de vivre
en pleine forêt.
C’était un hôpital sans douleur grâce aux dernières
découvertes du célèbre Professeur Yapludebobo. Un hôpital
sans douleur… et sans gaîté.
C’est pourquoi le chercheur Jules Poki avait déclaré dix ans
plus tôt :
« Sapristi, je mettrai le temps qu’il faudra, mais je trouverai
le moyen de leur faire voir la vie en rose ! »
C’était un petit homme tout rond qui ne souriait jamais. Il
avait le front plissé, les lèvres pincées et la coiffure hérisson. Il
passait ses journées le nez dans ses éprouvettes, l’air grognon,
sans sortir de son repaire.
Eurêka ! Le grand jour était enfin arrivé ! Le produit était
prêt. Jules Poki se gratta le menton, ce qui était chez lui signe
de réflexion :
« Hum… Comment être sûr que ma poudre n’est pas
toxique et qu’elle donnera de vrais résultats ? Il me faut un
cobaye. Qui se porte volontaire ? »
Comme il était le seul occupant de la pièce, personne ne
répondit et il leva le doigt en hésitant :
« Heu… moi. »
Il n’y avait pas d’autre solution.
Le chercheur ferma de façon hermétique la porte, la fenêtre
et les aérations, puis il répandit une pincée de poudre dans le
laboratoire. Il s’assit ensuite face à un miroir et attendit, un peu
inquiet. Et s’il s’était trompé dans les proportions ? Il ne voulait
pas de risette ni de ricanement de sorcier. Il ne voulait pas non
plus mourir de rire.
L’œil sur la pendule, il commençait à désespérer :
« C’est raté. Sapristi, je n’y arriverai pas. Moi qui rêve de
changer la vie des malades et des soignants dans cet hôpital, je
ne suis qu’un incapable… »
Soudain il ressentit des picotements dans les orteils et les
oreilles. Étonné, il fixa son visage dans la glace et toussota :
« Hum, hum… Miroir, ô mon miroir, que m’arrive-t-il ? »
La glace resta muette, car les miroirs ne répondent que dans
les contes de fées. Dans la vraie vie, jamais.
Pourtant son image se modifiait. Ses yeux pétillaient, les
commissures de ses lèvres se relevaient, sa bouche
s’entrouvrait… Et Jules Poki sentit une bouffée de bonheur lui
chatouiller l’estomac. Il devenait aussi léger qu’une plume et il
agita les bras. Un petit effort et il s’envolerait, gai comme un
pinson.
Il se mit ensuite à gazouiller : hi, hi, hi… puis à rire : ho, ho,
ho ! de plus en plus fort : HA, HA, HA ! Il en pleurait de joie.
Finie la coiffure hérisson ! Ses cheveux s’entortillaient, et
quand Jules Poki se calma enfin, il était frisé comme un mouton.
Il sortit un mouchoir de sa poche, s’essuya les yeux et
déclara :
« Sapristi, mon ancêtre, tu peux être fier de moi. La poudre-
à-rire va entrer dans l’histoire ! »
Il en versa dans un appareil spécial et partit d’un bon pas.
Jules Poki parcourut tous les étages de l’hôpital
hypermoderne, vaporisant un peu de poudre-à-rire par-ci par-là.
L’effet ne fut pas immédiat. À l’étage où se trouvaient les
enfants, le chercheur resta un moment en observation.
Le docteur Varasse rendait justement visite à quelques
jeunes malades.
« Docteur, j’ai des fous… des foufous… des fourmis dans les
orteils ! bafouilla une petite fille.
— Et moi, des moustiques dans les oreilles ! » lança son
frère d’une voix perçante.
Le docteur Varasse ajusta ses lunettes et constata :
« Bizarre, moi aussi. »
L’infirmière qui l’accompagnait ajouta :
« J’ai une drôle de sensation dans l’estomac. Une sorte de
bouffée… de bonheur.
— Bizarre, comme moi ! » dit le docteur.
Tous deux examinèrent les enfants qui s’étaient assis sur les
lits : leurs yeux pétillaient, les commissures de leurs lèvres se
relevaient, leurs bouches s’entrouvraient… Ils paraissaient
transformés.
Peu à peu, des rires fusèrent aux quatre coins de l’hôpital :
hi, hi, hi… des gazouillis de bébé et des rires-clochettes : ho, ho,
ho… des rires graves ou aigus ; ha, ha, ha… des rires de toutes
les couleurs.
Dans les serres, même les oiseaux s’en mêlèrent, riant du
bout du bec. Et Jules Poki, qui n’avait jamais chanté de sa vie,
entonna sur un air connu :
« C’est à rire, à rire, à rire… C’est à rire qu’il nous faut ! »,
refrain aussitôt repris par des milliers de voix.
Pendant un jour entier, on entendit des rires et des chants
résonner de tous côtés. À tel point que des extraterrestres
pointèrent leurs jumelles intragalactiques vers l’endroit d’où
provenait ce bruit étrange, en articulant :
« Yoa baba ! » (ce qui signifie : C’est là-bas ! dans leur
dialecte).
Ils bondirent dans leur soucoupe, et la nuit suivante,
rendirent visite à ceux qui ne dormaient pas. Certains enfants
pourraient le jurer !
Jules Poki, lui, crut qu’il avait rêvé. Mais une chose était
sûre : grâce à sa poudre-à-rire, la vie à l’hôpital allait changer !